La guerre civile fait-elle rage en France ? Non, c’est autre chose

La guerre civile fait-elle rage en France ? Non, c’est autre chose

Lorsque les banlieues françaises ont recommencé à brûler récemment, parce que les descendants majoritairement jeunes d’immigrés majoritairement maghrébins ont incendié des voitures, des magasins et des bibliothèques dans leurs lotissements, on pouvait lire dans de nombreux journaux qu’une guerre civile faisait rage en France.

Je ne suis pas d’accord avec cette évaluation. Comme l’a noté un commentateur conservateur, il ne peut pas s’agir d’une guerre civile, car les rebelles ont la nationalité française, mais ils ne se sentent pas français – nous devons donc appeler leurs bouffonneries une guerre contre la France.

Une guerre qui a duré six nuits et qui, hormis l’assassinat par la police de Nahel, dix-sept ans, n’a fait aucune victime. Je comprends que cela semble choquant quand, dans un pays culturel mature, ils doivent fermer les transports publics pour des raisons de sécurité.

Mais je considère que la classification « guerre » est exagérée.

C’est l’élément autodestructeur de ces émeutes récurrentes qui est une raison de ne pas le sous-estimer. Partager

Comme cela s’est déjà produit lors des vingt nuits d’émeutes de 2005, l’armée ennemie n’avait pas encore de commandement, ne représentait rien ni personne et n’occupait aucun centre du pouvoir étatique.

C’était un groupe autodestructeur de jeunes hommes qui a fait le plus de mal à ses camarades de la tribu. A ceux qui ont accepté la main de la Ve République française après 2005 et ont pris des emplois dans les magasins et les bibliothèques, et parfois même dans les commissariats, qui n’existent plus.

C’est l’élément autodestructeur de ces émeutes récurrentes qui est une raison de ne pas le sous-estimer. Même si seulement une partie des citoyens détruit leur résidence une fois tous les 18 ans, cela porte en germe l’autodestruction du pays.

En parallèle, nous avons un deuxième soulèvement en France, que je considère comme beaucoup plus large et plus grave, et qui, soit dit en passant, a fait des dizaines de morts.

Ce soulèvement est né dans les ronds-points qu’occupaient les gilets jaunes durant l’hiver 2018/2019, et s’est poursuivi avec des pauses relativement courtes dans la lutte contre la réforme des retraites du président français Emmanuel Macron.

Ayant participé à de nombreuses manifestations françaises dans ma vie, je peux témoigner que l’acteur de ce second soulèvement est « la France profonde ».

Oui, il y a des gens désolés et des bagarreurs égoïstes, mais dans le noyau ce sont des travailleurs de la périphérie des agglomérations urbaines et de la campagne.

Ils sont français, français normaux. À des moments où le pouvoir gouvernemental va trop loin – lorsqu’il augmente la taxe sur le diesel de sept cents, par exemple –, ce mouvement de résistance a le potentiel d’aspirer à une majorité critique, voire à une majorité dans la société.

Nous pouvons sans risque appeler ce centre la bourgeoisie dirigeante. Partager

Cela vaut aussi pour les gilets jaunes qu’ils ont une faible représentation dans l’élite française. Face à ces Français indignés se dresse un centre politique consolidé, brillamment incarné par le président français Emmanuel Macron.

Nous pouvons sans risque appeler ce centre la bourgeoisie dirigeante. Elle vacille depuis très longtemps, mais elle n’a toujours pas abandonné le pouvoir.

Il s’agit donc d’un conflit larvé et parfois meurtrier entre le petit peuple en colère et la bourgeoisie effrayée.

Qu’il s’agisse d’une guerre civile doit faire l’objet d’une enquête.

Je me suis rendu dans la ville natale des Macron car le conflit en cette saison contestataire y culminait : le 15 mai, des manifestants contre la réforme des retraites s’en sont pris à la famille du couple présidentiel.

C’était une nouvelle même pour les Français épris de révolution.

Vers 22 heures du soir – peu après une apparition télévisée au cours de laquelle le président Macron a défendu sa réforme des retraites – des participants à la contre-manifestation ont installé de grandes poubelles devant la devanture de la chocolaterie d’Amiens « Jean Trogneux ».

Il ressort clairement des insultes que l’agression visait le couple présidentiel. Partager

Il est fier qu’il appartienne à la même famille depuis 1872. Nous parlons de la famille dont est issue Brigitte Macron, née Trogneux, l’épouse du président français.

Son neveu de 29 ans, Jean-Baptiste Trogneux, directeur de l’entreprise familiale à la sixième génération, est descendu protester contre les bennes à ordures. Les opposants au président n’attendaient que ça. Ils se sont jetés sur lui et l’ont battu. Ils l’ont frappé aux mains, aux pieds et à la tête.

Il ressort clairement des insultes que l’agression visait le couple présidentiel.

Cela a été précédé de menaces antérieures basées sur une rumeur non fondée circulant parmi les gilets jaunes : la chocolaterie Jean Trogneux, qui compte au moins neuf points de vente à Amiens et en Picardie, dans le nord de la France, appartiendrait en fait au président lui-même.

C’est probablement stupide, mais cela légitime l’attaque de la chocolaterie.

J’ai roulé du nord jusqu’à Amiens, à travers les champs lumineux légèrement vallonnés de la Picardie, à travers des dizaines de petits villages. Bien avant Amiens, tout était déjà clair : ces villages étaient dépeuplés, pour la plupart abandonnés.

C’était un agréable lundi soir, mais en plus d’une heure je n’ai vu que six âmes vivantes, dont cinq cyclistes.

Une agglomération plus active n’a commencé qu’à Poulainville, à cinq kilomètres de la ville. J’ai dormi sur une colline près de Poulainville, et quand je suis partie avant sept heures, elle était déjà vivante : un groupe d’ouvriers polonais affluait vers les halls de l’usine.

D’après les médias, Jean-Baptiste Trogneux n’ose toujours pas sortir du lot. Partager

Amiens m’a accueilli avec un panneau publicitaire « Macarons d’Amiens », le célèbre bonbon dont Jean Trogneux vend deux millions de pièces par an. Avec Jules Verne, les nombreux canaux et charniers des batailles de la Somme à l’ouest d’Amiens, les macarons font partie des attractions touristiques de la ville.

La ville, à l’exception du centre le plus étroit, est délabrée. Et dans lequel vous pouvez vous garer gratuitement, car les machines de stationnement sont détruites de manière fiable.

Dans la vieille ville, il y a un triangle d’institutions importantes d’Amiens : l’office du tourisme, le Bar à chocolat de Trogneux avec des glaces hors de prix et la cathédrale gothique, deux fois plus grande que Notre-Dame de Paris.

Je suis allé dans cette belle cathédrale pour la messe du matin. Comme personne ne va à la messe ici par inertie, c’était une compagnie agréable : des gens sûrs d’eux, priants, même des jeunes femmes.

J’ai passé le reste de la matinée autour du siège de la dynastie des chocolatiers. Il se dresse sur la place Gambetta, près de la mairie. Les trois étages d’appartements au-dessus du magasin étaient recouverts de stores et de papier d’emballage blanc – selon les médias, Jean-Baptiste Trogneux n’ose toujours pas sortir parmi les gens.

Comme d’autres, j’ai appuyé mon nez contre l’écran. Le plus petit paquet de macarons, pesant 250 grammes, coûte 14,90 euros. Le matin, une camionnette de la société s’est arrêtée plusieurs fois, deux ouvriers de la chocolaterie étaient habillés en gentlemen sur la promenade niçoise, ils avaient l’air très français et étaient de bonne humeur.

La justice française a rapidement condamné les auteurs du 15 mai. Le quotidien catholique de gauche La Croix a résumé son rapport du tribunal par les mots « misère sociale et affective ».

Je suis enfin entré aussi. Tout était patiné, même les vendeuses. Partager

Par exemple, Jean-Baptiste Trogneux a été battu par une jeune montpelliéraine de 16 ans qui s’est enfuie de chez elle et a rendu visite à son amie à l’autre bout du pays.

Le petit-neveu de la première dame de la République française aurait également été battu par un cinéaste de vingt-deux ans de vidéos contestataires Facebook et Tiktok, qui a versé des larmes amères au tribunal et a été acquitté faute de preuves suffisantes.

Florian, 19 ans, « animal de troupeau » selon La Croix – père violent, mère alcoolique, lui-même précédemment reconnu coupable d’agressions sexuelles sur un adolescent de 15 ans – a été condamné à un an avec sursis.

Et Yoan, 34 ans – avec deux condamnations antérieures pour violences contre des femmes – a été condamné à 15 mois de prison sans libération conditionnelle.

Selon La Croix, les auteurs n’ont pas été en mesure de prononcer une seule phrase significative sur la réforme des retraites de Macron. Florian a été décrit comme « presque muet », tandis que Yoan a justifié l’attaque de la chocolaterie en disant : « Parce que les chocolats Trogneux sont trop chers ».

Faisant allusion au titre d’une comédie musicale bien connue, on peut donner aux manifestations d’Amiens du 15 mai le titre suivant en français : « Les Misérables et les chocolatiers ». Désolations contre les chocolatiers.

Je me suis assis à la terrasse d’un café voisin plus récent, mais qui existerait aussi depuis 1760, et j’ai observé la clientèle de la chocolaterie : une dizaine seulement entrait et sortait en une demi-heure exactement, dont un homme de grande taille entièrement vêtu d’un jean bleu, qui a immédiatement couru dans la boutique voisine.

La clientèle de Trogneux était flétrie, et dans un cas même bossue au sens le plus strict du terme, mais exhalait l’orgueil des petits bourgeois.

Ce que j’aimais le plus, c’était le vieil homme en polo rouge, pantalon Brax beige et sac en cuir pour homme, qui marchait avec une canne.

Je suis enfin entré aussi. Tout était patiné, même les vendeuses. J’ai acheté des chocolats de fin d’école coulés à la main (« Merci Maîtresse ») et certains de ces fameux bonbons. D’ailleurs, ils ne sont pas mal du tout.

Honte à la France, honte aux Français. Partager

J’ai fini par demander : « Pourquoi vos chocolats sont-ils si chers ? – « Ah, ils te paraissent chers ? C’est uniquement à cause du prix du cacao. »

Après ma visite à la chocolaterie de la famille de Brigitte Macron, j’en suis venu à la conclusion que le terme « guerre civile » ne décrit pas les événements français.

Quelque chose d’autre s’y passe, quelque chose d’inconnu de l’histoire, non moins troublant.

Des choses terribles s’y passent, par exemple les Juifs français vivent dans la peur après des meurtres ciblés pour des raisons antisémites.

Pour eux et bien d’autres, la France n’est plus chez eux.

Honte à la France, honte aux Français.

Nous aurions besoin de leur leadership : après tout, c’est la seule nation de l’Union européenne qui a montré au moins une certaine ambition de ne pas se dissoudre complètement dans l’uniformité de la mondialisation.

Au lieu de cela, ils se perdent dans l’autodestruction.

Severin Garnier

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