Comprendre une technologie n’est pas nécessaire pour l’améliorer!

Produire des outils complexes et s’adapter à différents milieux : on pense souvent que l’être humain a pu y parvenir grâce à son imposant cerveau, qui le rend plus ingénieux et inventif que d’autres espèces. Pourtant, l’efficacité des technologies telles que l’arc ou le kayak dépend de nombreux paramètres qu’il est encore aujourd’hui difficile de comprendre et de modéliser, même pour des médecins. Pour cette raison, certains anthropologues ont suggéré que ces technologies résultant non pas de nos capacités de raisonnement mais de notre propension à copier les autres membres de notre groupe : de petites améliorations seront sélectionnées successivement, conduisant à l’émergence de technologies efficaces et pourtant incomprises. dix individus.

Les chercheurs ont voulu tester cette théorie en laboratoire. Pour cela, ils ont recruté des étudiants qui devaient optimiser une roue afin qu’elle parcoure le plus rapidement possible la distance d’un mètre sur des rails inclinés (photo). Chacun avait cinq essais pour produire la configuration la plus efficace, avant de répondre à un questionnaire qui testait sa compréhension des mécanismes physiques pouvant influencer la vitesse de la roue. Afin de simuler la succession des générations humaines, les chercheurs ont créé des chaînes de cinq individus : chacun avait accès, sur un écran d’ordinateur, à la configuration et à l’efficacité de la roue des deux derniers essais du participant précédent.

Tandis que la roue gagnait en vélocité au cours des « générations », la compréhension des individus est restée médiocre. En d’autres termes, il n’y avait aucun lien entre la performance de la roue et le niveau de compréhension des participants ! Chaque individu avait produit des configurations plus ou moins aléatoires et c’est la combinaison entre ces essais-erreurs individuels et la copie des configurations les plus rapides qui avaient suffi à optimiser la roue.

Dans une seconde version de l’expérience, les participants transmettaient à l’individu suivant, en plus de leurs deux derniers essais, un texte décrivant leur théorie sur l’efficacité de la roue. Les résultats furent similaires : les roues gagnaient en vitesse mais, là encore, sans que les individus comprennent pourquoi. La transmission de théories fausses ou incomplètes pouvait même empêcher les générations suivantes de développer une appréhension correcte du système, les rendant comme aveugles à une partie du problème.

Cette expérience illustre l’importance des processus culturels dans l’apparition d’outils complexes : notre aptitude à copier les autres individus permet l’émergence de technologies que nul n’aurat su inventer de lui-même. Elle invite à se montrer prudent dans l’interprétation des vestiges archéologiques en termes de capacités cognitives, ces aptitudes n’étant pas le seul moteur de l’évolution technologique.

Dispositif utilisé dans l’expérience.
Les participants peuvent modifier la position des poids le long des rayons entourant la roue, afin d’augmenter la vitesse sur le rail incliné.
Deux facteurs influencent cette vitesse : la répartition de la masse autour de l’axe de la roue, ou moment d’inertie (plus la masse est condensée, proche de la roue, plus celle-ci est rapide), et la position du centre de masse de la roue (plus celui-ci est haut, plus l’accélération est importante).
© Maxime Derex

D’autres photos sont disponibles sur demande aupres de Véronique Etienne. Des vidéos du dispositif expérimental sont disponibles sur cette page (crédit : Maxime Derex).

Léopold Moulin

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